dimanche 1 août 2010


Un magnifique texte d'Idir, que je ne peux que vous retranscrire

Quand j’ai fait cette chanson, j’ai plus ou moins directement pensé à la mienne, et donc inévitablement à la vôtre, aussi. Et il me vient, dans mon enfance, l’image, une vision donc, des temps où nous étions dans ma Kabilye natale, elle et moi. Je devais avoir quatre, cinq, six ans, mais pas plus. Elle était là, à côté de moi, en train de battre du lait qu’elle a mis dans une sorte de calebas, et elle battait son lait en faisant ce geste là, peut-être comme certains d’entre vous ont dû déjà voir faire.

Ce qu’il y avait de curieux c’est qu’à travers le rythme qu’elle imprimait à son instrument, comme ça, elle rythmait aussi des choses qui venaient du fin fond de son cœur, de son fort intérieur. Et donc je la voyais, soupirer, beaucoup ; chanter, énormément. Sourire, parfois. Pleurer, aussi. Mais, vous savez, à quatre, cinq, six ans, vous n’avez pas toutes les données, et bien sûr ayant grandi et surtout ayant emmagasiné ces visions et ces sons dans ma tête, je me suis rendu compte alors qu’elle ne faisait que se confier à cet instrument, qu’elle pratiquait parce que certainement qu’à l’époque elle ne devait pas avoir d’autre interlocuteur valable. Et à travers ce qu’elle disait, du moins de que j’en ai compris, on voyait la situation d’une femme, chez nous, subissant la loi du milieu, la loi du mal. D’autant plus que le papa n’étant pas là, ça rajoute encore un peu de drame à cette chose-là.

Et j’ai compris une chose qui a été essentielle dans toute ma vie, c’est que s’il n’est déjà pas évident d’être une femme en général, dans n’importe quelle société, qu’elle soit moderne ou pas, ça l’est encore moins dans une société à forte tradition comme la notre. Et j’en voyais pour illustration cette dame qui se trouvait être ma maman.

J’ai aussi senti vite que cette chanson ne m’appartenait pas tout seul mais qu’elle nous appartenait tous, vu les rapports spéciaux que l’on a avec nos femmes ; que ce soient nos sœurs, nos mamans, ou autre. Aujourd’hui je la partage avec vous, mais ça fait longtemps, longtemps, longtemps, que je demande toujours mais inlassablement la même chose, aux gens devant qui j’ai l’honneur d’essayer de m’exprimer. Et ce soir, dans ce lieu mythique de Carthage, je vais vous le demander.

Essayez, si vous le voulez, si vous le pouvez, d’avoir l’image claire, précise, mais surtout lumineuse de celle qui vous a donné la vie, ou simplement de celle que vous aimez. Qu’elle soit ou non de ce monde, je sais qu’elle sera à jamais gravée dans nos cœurs. Si elles ne sont plus là, réjouissons-nous de les avoir connues. Pensons surtout à ces larmes qu’on a versées devant ces chères tombes. Ces larmes qui proviennent certainement des mots qu’on n’a pas pu dire ou su leur dire, ou des choses qu’on a pas faites, qu’on a pas su faire. Si elles sont encore là, magnifions-les encore et encore, célébrons-les parce que nous avons tous quelque chose à nous faire pardonner de ne pas… Ne dites pas non tout de suite, cherchez et vous verrez.

Si l’un d’entre nous, je dis bien « nous » parce que nous formons une petite famille ce soir, a eu le courage, l’audace, d’aller pêcher dans le très fond de nos cœurs le moindre de leurs frissons, le moindre de leurs fragilités, cessez de voir ne serait-ce que le temps d’une chanson l’image d’une maman couveuse ou allaiteuse, tradition oblige, mais laissez la place à une femme, tout simplement. Avec ses fragilités, ses contrariétés, ses amours, ses illusions, ses droits.

Et à côté de cette femme qui est la notre, ce soir, j’aimerais que l’on pense à ces millions de femmes, qui sont restées là-bas de l’autre côté de la frontière, parce qu’elles n’ont pas peut-être l’occasion de vivre des moments comme ceux de ce soir, je voudrais que d’ici en Tunisie on leur adresse une pensée, d’abord de façon à ce qu’ici ce soir à Carthage, il n’y ait pas de tunisiens, de marocains, d’algériens, de libyens ou autres, mais quelques milliers de cœurs qui sont là, assis les uns à côté des autres, prêts à sortir d’eux ce qu’ils ont de magnifique en émotions, en tendresse.

Et puis de cette contemplation naîtra une super énergie pleine d’émotions, elle traversera la frontière, et elle ira porter notre salut et surtout s’éparpillera en millions de morceaux, chaque petit morceau étant un tout petit peu de bon dans leur cœur qui en a bien besoin. Et je sais que si l’on réussi ça, et on le réussira, il sera écrit quelque part dans le ciel de Dieu, que ces quelques milliers de femmes en ce soir de juillet, ont fait quelque chose d’extraordinaire, vraiment.

(Désolée pour la qualité médiocre de la vidéo, mais j'ai du fortement diminuer la qualité de la vidéo car ce site ne me permet pas de mettre de gros fichiers...)

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