mercredi 28 juillet 2010


Une note de musique, des étoiles dans le ciel, des étoiles autour de moi

Day twenty six - 27.07.2010



Un train fantôme glisse sur l’eau. Seul à occuper une fine bande de terre traversant le lac de Tunis, il semble naviguer parmi les bateaux que nous dépassons. Dans la nuit noire, percée uniquement par quelques lueurs qui viennent s’étaler sur l’eau paisible, le train nous mène vers Carthage.

Carthage, ville des trois civilisations, riche de tellement de cultures. Ce soir, nous allons au Festival international de Carthage, voir Sabah Fakhri, chanteur syrien, né à Alep en 1933. Je me cache derrière mon masque pour avouer n’avoir jamais entendu son nom ni sa musique. La culture arabe a encore beaucoup à m’apprendre.

Maître du Tarab, cette ivresse musicale qui saisit l’auditoire mélomane, Sabah Fakhri a apporté une touche novatrice en élargissant la petite formation traditionnelle de chambre (muwachchach) à tout un orchestre.

Vingt minutes avant le début, les musiciens rentrent. A 22h pile, le son du qânûn se fait entendre. Allahu akbar. Dieu le plus grand. Le concert commence toujours par une prière.

Ce soir, mes sens quittent mon corps. Libérés, ils s’élargissent, se séparent, s’entremêlent, s’interrompent. Je ne vis que par mes sens. Mon corps semble oublié. Dès l’entrée, mon odorat est secoué. Essayant de me frayer un chemin parmi la foule sans cesse croissante à l’entrée, les odeurs s’intensifient. Les parfums puissants des dames déguisées pour l’occasion se mélangent à l’odeur de cigarette du policier et aux différents parfums des hommes, sueur ou eau de toilette.

Le spectacle commence. Monsieur Sabah, 77 ans, rentre sur scène. Joyeux, comme un garçon qui aurait oublié son âge, il danse, il chante. Il est heureux. Après une demi-heure, un monsieur l’interrompt en plein chant pour le forcer à s’asseoir. Monsieur Sabah résiste. Même assis, ses pieds continuent à danser, ses mains l’accompagnent.

Mon ouïe est émerveillée. Comblée, elle n’en demande que davantage. Au son merveilleux de la voix de Sabah Fakhri viennent s’additionner les voix du chœur qui l’accompagne. Comme par enchantement, un deuxième chœur s’improvise, qui vient complémenter les deux autres concerts : le public chante ; enivré, il s’envole avec eux. Pendant quelques heures, ils côtoient leur idole, ils font partie du spectacle.

Une fois la première note avancée, l’atmosphère change. La gente masculine, qui est d’ordinaire imperturbablement sérieuse et hautaine, perd sa rigidité. Après quelques minutes, je surprends les deux hommes assis devant moi en train de faire danser leurs poignets pour dessiner dans l’air la représentation de leur joie. Ils sourient, chantent. Croyez-moi, c’est rare de voir les tunisiens comme cela.

J’admire le spectacle. Tant celui qui se trouve sur la scène, dont les couleurs et la beauté occupent mes yeux ; que celui qui se passe tout autour de moi. Ils sont complémentaires. L’un ne serait pas aussi beau sans l’autre, et inversement. Le qânûn improvise un solo. Mes oreilles, sensibilisées par tant de caresses, perçoivent jusqu’au glissement des doigts sur la corde, avant de se délecter de la vibration de celle-ci. Les notes se détachent pour ensuite se rassembler et former la mélodie.


Une musique exceptionnelle, qui m’a fait voyager. Un voyage qui titille tous mes sens, qui les fait vibrer à une fréquence jamais essayée auparavant. Un moment inoubliable.

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